Se connaître soi-même pour mieux s’orienter : un rêve, pas une utopie
« Réussir sa vie », si c’est le titre d’un ouvrage du philosophe Luc Ferry, c’est avant toute chose un objectif auquel chacun aspire : « A mon dernier souffle, je ne veux pas avoir de regrets ; et ma vie durant, je veux être libre et épanoui » pourrait résumer le propos.
Seulement voilà, personne ne sait exactement ce que cela veut dire.
Avoir un travail, des enfants une famille ? Devenir moine bouddhiste ? Fabriquer de l’énergie solaire ? Ou encore devenir sociologue ou écrivain, boulanger, agriculteur ou acteur ?
Il y a déjà là l’esquisse d’une définition: réussir sa vie, c’est en faire quelque chose, selon son échelle de valeur personnelle, selon ses convictions, selon son utilité sociale, sa personnalité, ses compétences, ses talents et ses limites.
C’est donc concilier être et agir, ce que je suis, ce que je veux et ce que je fais. Agir conformément à mes désirs, et avoir des désirs ordonnés à ce que je peux.
Ce lien entre la capacité, le désir et l’action est primordial et implique une chose essentielle dont le zapping dans lequel nous évoluons tend à nous détourner : se connaître soi-même.
La formule de Socrate peut paraître ringarde et loin des soucis de notre quotidien angoissé par la crise. Cette formule recèle pourtant une réponse essentielle. L’être, le « Je », est la matière première de l’existence. Et savoir l’appréhender, est ce qui permettra d’avancer librement.
C’est très exactement cette formule qui conduit à remettre en cause l’idée d’éducation au profit de celle d’instruction. L’école formerait les élèves de l’extérieur. La famille et les différentes structures sociales donneraient à apprendre des comportements et des savoirs. Alors qu’elle peut aller plus loin et forger des têtes autant que des mains animées d’un souffle puissant.
Plus largement, la « doxa » véhicule des idées, tenues pour incontournables. Cette fabrique des vérités sociales peut s’opposer pourtant assez facilement aux aspirations du petit Louis ou du jeune Mickaël.
C’est ainsi que depuis l’âge de six ans, le petit Louis s’amuse beaucoup avec le bois. Mais dans la famille, on fait des études, Mâdâme ! On a un diplôme du supérieur. Et avec d’autant plus de fierté cela garantit un prestige, une reconnaissance, un statut, et peut-être même une évolution pour notre nom. Alors, Louis, conditionné dès le plus âge jeune pour renoncer à son talent et à son plaisir, a engagé des études à l’Université. Il a d’ailleurs plutôt bien réussi. Mais l’âge passant, son métier d’enseignant finissait par le lasser. Il ne s’autoriserait pas pour autant à la réalisation de son rêve et de son plaisir. Il vivait dans une caste, dans un style, dans un monde où son désir avait été considéré dès le plus jeune âge comme illégitime.
J’ai encore une pensée émue pour le petit Mickaël. Parce que tout de même, la console de jeu, ça occupe des enfants contre lesquels on ne peut rien, et ça fout la paix, soyons honnêtes. Dix ans plus tard, timide et seul malgré lui, le pouce encorni de sa Playstation, Mickaël ne savait pas exactement ce qu’il voulait. A tel point qu’il finit par en déprimer. Abandonnant à des tiers, qu’on appelle société, école, famille, la responsabilité de choisir pour lui. C’était le début de la dépression. Personne autour de lui ne s’en rendait compte. Pourtant, sa libido baissait, ses facultés relationnelles étaient proches de la température en hiver en terre Adélie. Petit à petit. L’attente. L’attente vers plus loin. Mais quoi ? Le plus simple serait d’en finir, pensa-t-il, mais quand on peut fuir dans la drogue, « ce serait quand même con de ne pas se gaver ».
Ce qui réunit Louis et Mickaël ? Le refus ou l’ignorance d’eux-mêmes.
Les parcours obligés ne sont pas le gage d’une vie réussie. Si l’on ne peut que souhaiter le meilleur pour soi et pour les siens, cela ne doit pas revenir à les faire se conformer à un modèle de réussite préétabli.
C’est une évidence, mais une évidence dont les contours demeurent aujourd’hui encore très théoriques.
Votre serviteur lisait avec stupéfaction il y a quelques jours une délibération de la majorité du Conseil Régional. On s’enorgueillissait de proposer aux jeunes des zones rurales de faciliter leur accès à l’enseignement supérieur. Louable souci d’égalité. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pourquoi ne pas proposer aux élèves de légitimer leurs désirs. Pourquoi ne pas les aider à savoir qui ils sont et ce qu’ils veulent ? Ce serait peut-être une clé bien plus importante. On peut être urbain et aimer l’artisanat et avoir « vécu aux champs » tout en adorant les technologies. Certes. Mais la question à laquelle il appartient aux pouvoirs publics de répondre est toute autre : comment donner à chacun les leviers pour devenir ce qu’il est ? !
C’est un rêve que certains qualifieront d’utopie. On pourra me qualifier d’intellectuel. Et après ?! Si c’est là que je suis bien.
Cette critique serait fondée s’il n’y avait qu’un constat, sans conséquences pratiques. Ce serait profondément orgueilleux, un orgueil de donneur de leçons, qui confond action et morale publiques.
Introduire des bilans de personnalité et de compétences au carrefour du collège et du lycées pourrait être l’une des solutions. Alors on me répondra : d’accord, mais dans le public on ne sait pas faire. Et alors ? Les mêmes n’hésitaient pas hier à faire les louanges des partenariats publics-privés ! Et pourquoi pas en matière d’orientation.
Des cabinets spécialisés pourraient de manière expérimentale être mis à la disposition d’établissements scolaires en vue de réaliser ce passage de l’élève au citoyen. Leur apprendre à se connaître, à connaître leurs forces et leurs limites, leurs qualités et leurs défauts. Et finir par s’aimer eux-mêmes, non en raison du regard qui est porté sur eux, mais pour eux-mêmes, parce qu’ils auront conscience d’être quelque chose, de pouvoir et peut-être même de désirer le mettre en actes.
Et cette connaissance pourra les conduire autant à favoriser la tête que les mains. Si l’on peut louer un souci de porter les élèves des zones rurales vers le supérieur, cela ne doit pas exclure de les conduire vers une voie professionnalisante.
Une filière de l’expertise «compétences » émergera et permettra peut-être à terme de combler le gouffre entre des artisans trop peu nombreux et des bancs d’université parfaitement essuyés par les pantalons surabondants d’étudiants en mal de destin.
C’est aussi la question du déclassement qui est visée. A diplôme égal, les enfants ne pourraient avoir le niveau de vie de leurs parents. Alors même que les salaires dans le monde de l’artisanat sont parfois plus élevés que ceux du supérieur. Pour une raison simple : le déséquilibre entre l’offre et la demande d’emplois.
Cette vie réussie, ne consiste peut-être pas à survaloriser l’intellect sur le manuel, mais à reconnaître les talents là où ils sont. Et quels qu’ils soient.
Il y a quelques jours, un élu local disait : « Les carnets de commandes des artisans sont pleins, mais il n’y a pas d’élèves volontaires pour l’apprentissage ». Et la même personne de surenchérir : « Mais, tu sais, on peut comprendre les parents qui préfèrent voir leurs enfants aller vers le supérieur ».
Alors est-cela la France que nous voulons ? Une terre où le prestige et la sécurité l’emporteraient sur la découverte de soi et l’épanouissement des talents ?
Pour ma part, je lui ai répondu : « Je m’en fous de ce que feront mes enfants. Je n’exigerai d’eux qu’une chose : qu’ils le fassent bien et qu’ils y trouvent la satisfaction d’être à leur place, profondément. ».
Voilà un autre indice de ce que peut être une vie réussie : quel que soit l’objet de notre désir et de notre action, ce qui importe, c’est d’y mettre son cœur pour faire du mieux possible.
« Tête bien faite vaut mieux que tête bien pleine », écrivait Montaigne. Si ce n’est pas la définition d’une vie réussie, c’en est une condition fondamentale.
Nicolas BELOT
Conseiller Régional
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